Une nouvelle chaire à l’USJ pour raviver l’héritage linguistique et culturel de Morice Awwad
Tiré du site de l'Orient-Le Jour
Ce nouveau cadre académique a été créé pour encourager les jeunes chercheurs à se pencher sur l’œuvre et la vision de cette figure emblématique de la littérature vernaculaire libanaise.
Destinée à honorer l’héritage de Morice Awwad, la chaire, lancée le 23 septembre dernier à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), vise entre autres à favoriser et à stimuler la recherche académique et les études doctorales sur l’œuvre brillante de ce poète rebelle viscéralement attaché à la langue libanaise et à sa libanité. Elle entend surtout « poursuivre la voie » tracée par cet idéaliste engagé dont le rêve ultime était de « libaniser » l’écrit comme tient à le rappeler la Dr Nada Mouawad, spécialisée dans les études linguistiques et les langues, cofondatrice de la chaire et membre de son comité scientifique.
Si l’idée à l’origine de cette chaire est née lors d’un débat survenu à la suite de la soutenance d’une thèse de doctorat sur Morice Awwad, sa genèse a été rendue possible grâce au soutien de nombreuses figures académiques et culturelles, ainsi que de la Fondation Morice Awwad. Adossée au cadre prestigieux de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), elle se compose actuellement d’un comité scientifique regroupant M. Joseph Chahda (titulaire), le Dr Tony Kahwaji, le Pr Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, M. Melkar Khoury, fils du poète, la Dr Nada Mouawad ainsi que M. Arkadiusz Plonka, chercheur et orientaliste polonais.
Selon la Dr Mouawad, cette chaire a pour objectif d’instaurer un cadre académique et scientifique adéquat qui permettrait à court terme d’amorcer la réflexion autour de la production de Awwad, de sa « vision » et de son « projet », d’encourager la créativité libanaise et toutes sortes d’activités culturelles locales, quelles que soient les œuvres, poétiques, musicales, théâtrales ou de la prose. « Il ne s’agit pas uniquement de la langue mais de la culture et donc de l’identité libanaise », précise-t-elle. Un sujet d’actualité brûlant, d’autant que le pays du Cèdre est menacé de toutes parts.
Elle ambitionne également de faire en sorte pour que le projet porté par ce visionnaire durant plus de 55 ans devienne une réalité palpable et que la langue vernaculaire devienne, en temps opportun, la langue nationale et officielle du Liban. « Notre rôle, indique-t-elle, est de travailler suivant une méthodologie académique et scientifique pour consolider les différentes composantes de la structure linguistique car pour qu’une langue soit reconnue, il faut qu’elle soit parlée, écrite et qu’elle repose sur des normes et des règles linguistiques – grammaticales, lexicales et orthographiques – bien claires. »
Bien plus, marqueur d’appartenance, véhicule culturel, outil de construction et de revendication identitaire, la langue est aussi un outil de cohésion sociale infiniment subtil et puissant. Si les divergences politiques, les divisions historiques, religieuses et confessionnelles séparent les Libanais, la langue libanaise les rapproche.
« Pour bâtir le pays, il faut miser sur un dénominateur commun », indique-t-elle. « Le « libanais » est à n’en point douter un élément fédérateur, du moins au niveau culturel », précise-t-elle encore.
Longtemps considéré comme un sujet de controverse en raison de ses liens avec le débat sur l’identité du Liban, le nationalisme linguistique pourrait pourtant être utilisé comme un symbole puissant pour créer un sentiment d’appartenance, d’unité et d’identité commune dans un pays toujours en quête de son « âme ».
Transposer le débat de la rue à l’université
« Qu’on le veuille ou non, le libanisme et le combat pour libaniser la langue ont été menés par des chrétiens, notamment de droite, dans un contexte de guerre », admet, pour sa part, Melkar Khoury, fils du poète de Kfar Ghorbé. Et de poursuivre : « Cependant aucun débat académique et scientifique, aussi important soit-il, ne peut être mené si les uns et les autres continuent de se retrancher derrière leurs barricades et leurs convictions et intérêts opposés, sans chercher de terrain d’entente. » « L’idée de la chaire est donc de transposer ce débat de la rue à l’université et de transformer les affrontements en discussions constructives et débats formalisés en les ancrant dans un cadre académique et scientifique rigoureux », affirme-t-il. Et ce, loin de toutes les divergences identitaires, phénicien vs arabe, arabophonie vs francophonie, droite vs gauche ou encore chrétien vs musulman. Loin aussi des slogans, des distorsions, des blocages et de la propagande, en misant sur la jeunesse libanaise, véritable moteur du changement.
Pour cela, des bourses, à raison d’une bourse par an financée par la Fondation Morice Awwad, seront attribuées aux jeunes doctorants, notamment en lettres, qui opteront de travailler sur la production du poète ou sur des thématiques en rapport avec l’identité libanaise.
« Les bourses accordées fourniront des clés, voire constitueront un outil qui nous permettrait de prouver, à travers les recherches qui seront menées, que le « libanais » est non un dialecte mais une langue qui remplit toutes les conditions : technique, scientifique et académique, comme n’importe quelle autre langue », avance-t-il.
« Ce faisant, nous ne cherchons pas à éradiquer une autre langue sachant qu’une langue qui n’évolue pas est condamnée à mourir », tient-il néanmoins à clarifier. Au contraire. « Cette chaire se veut une plateforme où tout un chacun, de quelque bord qu’il soit, se retrouve. Elle se veut un point de croisement, d’intersection autour de la langue, de la culture, de l’éthique de Morice Awwad, de sa révolte, de son combat contre l’occupation, de sa lutte contre l’injustice et de son amour pour la liberté », souligne-t-il encore.
Entre-temps, la chaire, qui envisage de tisser des partenariats avec des universités et des centres de recherche à l’étranger, compte organiser à l’avenir des tables rondes, des colloques et prévoit aussi des publications thématiques périodiques.
Sa mission est certes de longue haleine mais elle intervient à un moment où le Liban traverse un tournant décisif de son histoire, voire de son existence même, et que le besoin de parler libanais, d’écrire en libanais et surtout de penser en libanais se révèle extrêmement crucial.
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